Au cœur des forêts et savanes africaines, une crise silencieuse menace la biodiversité exceptionnelle du continent. Des espèces emblématiques tombent sous l’emprise d’un piège en apparence rudimentaire, mais d’une redoutable efficacité : le collet. Composé d’un simple fil de fer ou d’une corde en forme de nœud coulant, ce dispositif est dissimulé le long des sentiers des animaux, se refermant mortellement sur sa proie une fois déclenché.
Peu coûteux et facile à fabriquer, le collet est massivement utilisé par les chasseurs de subsistance et commerciaux en afrique. Des millions de ces pièges sont posés chaque année, fournissant nourriture et revenus à de nombreuses communautés locales. Mais leur efficacité a un prix : les collets ne font pas de distinction entre les espèces. Les animaux capturés endurent souvent une mort lente, et comme les chasseurs ne vérifient leurs pièges que quelques fois par semaine, une partie de la viande est déjà putréfiée au moment de la découverte – un gaspillage à grande échelle.
Une étude récente, publiée dans BioScience, révèle l’ampleur du désastre : environ 9 % des animaux piégés sont trop décomposés pour être consommés, ce qui équivaut, au bas mot, à des dizaines de millions de kilos de viande de brousse perdus chaque année à travers l’Afrique.
Face à cette crise, les chercheurs plaident pour une approche multidimensionnelle, capable de concilier préservation de la faune et besoins des populations locales. Car sans solutions alternatives garantissant leur subsistance, ces dernières continueront de dépendre d’une pratique dont l’impact insoutenable pèse lourdement sur l’avenir de la biodiversité africaine.
Crise généralisée et destructrice

Depuis des siècles, la chasse nourrit l’humanité. Mais aujourd’hui, la croissance démographique, les avancées technologiques et l’essor des réseaux commerciaux de viande sauvage ont rendu cette pratique insoutenable dans de nombreuses régions, alertent les chercheurs.
D’un point de vue écologique comme alimentaire, le piégeage par collets est devenu un gaspillage intolérable. L’étude révèle que ce gaspillage survient lorsque les animaux meurent sans être repérés dans les collets, leur viande pourrit avant d’être récupérée, Ils parviennent à s’échapper, gravement blessés, pour mourir plus tard
« Le piégeage est une source importante de nourriture et de revenus », reconnaît Sean Denny, auteur principal de l’étude et chercheur à l’Université de Californie, Santa Barbara. « Mais à cette échelle, il compromet la durabilité des écosystèmes et les bénéfices que la faune apporte aux communautés locales. »
Dans les aires protégées africaines des milliers, voire des dizaines de milliers de collets sont posés chaque année. Un chasseur utilise généralement entre 60 et 100 collets simultanément. Ce chiffre peut atteindre 500 collets pour les chasseurs commerciaux. Rien qu’en Afrique centrale, les estimations suggèrent que des dizaines de millions de collets – peut-être bien plus – sont installés annuellement.
En croisant diverses données scientifiques et rapports d’ONG, les chercheurs ont estimé que 170 millions à près d’un milliard de kilos de viande sauvage sont prélevés chaque année en Afrique centrale via cette méthode.
Un lourd tribut pour la faune sauvage
Les collets sont souvent non sélectifs, capturant un large éventail d’espèces, des petits rongeurs aux céphalophes et aux potamochères. Les animaux plus grands, comme les grands félins et les grands singes, ont peu de chances d’être retenus par les collets mais peuvent subir des blessures. Les reptiles comme les serpents et les crocodiles, ainsi que les oiseaux tels que les aigles et les vautours, sont également vulnérables.
L’étude, qui synthétise les résultats de 24 autres études sur le piégeage dans 47 sites de neuf pays, a relevé des taux de fuite de 36% en Guinée équatoriale, 38% en République centrafricaine, et jusqu’à 51% sur un site camerounais. Cela signifie que pour chaque animal capturé, un autre a pu s’échapper avec des blessures pouvant affecter sa survie ou sa capacité à se reproduire.
Les causes d’un problème complexe
La chasse en Afrique est motivée par plusieurs facteurs, principalement le besoin de nourriture et de revenus. En effet, dans de nombreuses régions du continent, le poisson et le bétail sont souvent inaccessibles ou trop chers en raison du manque d’accès aux marchés et des maladies endémiques qui rendent l’élevage difficile. Cependant, les auteurs notent aussi que la chasse est de plus en plus stimulée par un important marché de viande sauvage dans les zones urbaines d’Afrique subsaharienne, où la consommation de gibier est liée à des préférences gustatives, des traditions culturelles et un certain statut social.
« Les collets sont pratiques pour les chasseurs car ils sont plus discrets que les armes à feu, ce qui réduit les risques de se faire repérer par les autorités en cas de chasse illégale », explique Sorrel Jones, co-autrice de l’étude et conseillère en recherche de terrain pour le Centre de science de la conservation de la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB) au Royaume-Uni. « Leur fonctionnement à distance permet aussi aux chasseurs de mener d’autres activités en parallèle, comme l’agriculture ou la pêche », ajoute-t-elle.
Les forces de l’ordre peinent à réguler cette pratique, car les matériaux comme le fil de fer sont facilement disponibles et légaux, rendant le contrôle par des mesures strictement répressives inefficace.
« Notre étude montre surtout que la régulation des collets ne peut pas reposer uniquement sur la répression », souligne Denny. « Il faut aussi des politiques encourageant des pratiques de chasse durables parmi les chasseurs eux-mêmes. »
Plutôt que de miser uniquement sur les contrôles, les chercheurs préconisent des systèmes de gouvernance donnant plus de pouvoir aux communautés locales. « De petits changements dans les méthodes de chasse, comme le type de collets utilisés, leur emplacement et des vérifications régulières, pourraient bénéficier à la fois à la biodiversité et aux populations locales », explique Lauren Coad, co-autrice de l’étude et scientifique senior au Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR-ICRAF). « Il est aussi crucial que ces communautés puissent gérer leurs zones de chasse et exclure les chasseurs commerciaux extérieurs, pour éviter une « tragédie des biens communs« . »
Les auteurs recommandent également des campagnes de sensibilisation en ville pour diminuer la demande en viande sauvage, ainsi que des solutions pour améliorer la sécurité alimentaire en zone rurale, comme des sources alternatives de protéines durables. Enfin, ils insistent sur l’importance de maintenir, voire renforcer, les efforts de répression et d’enlèvement des collets dans les parcs nationaux et réserves où la chasse est interdite.
Sans intervention urgente pour limiter ses impacts négatifs, le problème des collets en Afrique continuera à aggraver la perte de biodiversité, la souffrance animale et le gaspillage alimentaire à une échelle alarmante. Comme l’explique le Dr Eric D. Nana, chercheur principal et responsable de l’Unité de conservation et de recherche sur la faune à l’Institut de recherche agricole pour le développement au Cameroun, s’attaquer aux pratiques de piégeage non durables permet non seulement de protéger la faune mais aussi de réduire le gaspillage et d’aider les communautés qui en dépendent pour survivre.
» Cette étude s’ajoute à un ensemble croissant de preuves qui peuvent guider les gouvernements et les communautés dans leurs efforts pour établir une voie plus durable pour la faune emblématique de l’Afrique – un avenir qui continue de soutenir les populations dépendant quotidiennement des animaux sauvages’, a déclaré Nana, qui dirige également le groupe Central Africa Bushmeat Research Into Policy (CA-BRIP). »









