Que faut-il pour gérer durablement la viande de brousse en Afrique centrale ? Une étape clé consiste à développer une compréhension partagée des interactions souvent complexes, informelles et imbriquées entre la faune, les populations et les marchés.
C’était l’objectif des ateliers organisés au Cameroun en avril 2025. Ces rencontres ont réuni 56 participants issus de plus de 10 organisations nationales et internationales, des représentants du gouvernement, des Peuples Autochtones et des communautés locales. Ensemble, ils ont exploré le système de gestion de la viande de brousse dans le pays à l’aide d’un schéma de chaîne de valeur élaboré de manière collaborative. Cela leur a permis de visualiser les principales interactions, d’identifier les points de pression sur la biodiversité et d’échanger des idées pour une gestion plus efficace et plus équitable.
L’objectif principal de l’atelier était d’élaborer de manière collaborative un Plan d’Action définissant les priorités stratégiques et les actions concrètes pour une gestion durable du secteur de la viande de brousse au Cameroun. Ces travaux s’inscrivent dans le cadre du Programme de gestion durable de la faune sauvage (SWM), qui soutient le Ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF) dans son processus de réforme juridique. Le programme contribue à identifier les principaux défis juridiques et réglementaires ainsi que les priorités des parties prenantes afin de promouvoir une utilisation durable de la faune.
L’un des premiers enseignements soulignés par les participants a été l’importance de comprendre la biologie des espèces chassées. Toutes ne réagissent pas de la même manière à la pression de la chasse. Les espèces comme le porc-épic, le céphalophe bleu et le grand rat à poche se reproduisent plus rapidement et résistent mieux à une récolte modérée. En revanche, les espèces telles que les pangolins, les éléphants, les grands singes et félins ont une reproduction lente, une faible densité de population et sont très vulnérables à la surexploitation. Prendre en compte ces différences est essentiel pour fixer des quotas durables et prioriser les espèces à surveiller ou protéger.
Les discussions ont aussi mis en évidence la diversité des pratiques de chasse au Cameroun.
Certains chasseurs pratiquent une activité de subsistance, utilisant des outils rudimentaires pour une consommation familiale. D’autres sont semi-commerciaux, combinant chasse, agriculture et autres activités génératrices de revenus. Une minorité, en revanche, sont des chasseurs professionnels utilisant des armes à feu et intégrés dans des circuits commerciaux. Ces pratiques engendrent des impacts écologiques distincts : les chasseurs expérimentés et bien équipés accèdent plus facilement aux zones profondes de la forêt et ciblent souvent des espèces plus rares ou plus grandes.
Un autre facteur influençant le commerce de viande de brousse est l’expansion des concessions forestières. Les routes ouvertes pour l’exploitation du bois facilitent l’accès à des zones auparavant préservées, augmentant ainsi involontairement la pression de la chasse. Toutefois, les participants ont aussi vu dans ces concessions une opportunité d’améliorer la réglementation, notamment en impliquant les entreprises forestières comme partenaires de la conservation.
Un aspect particulièrement préoccupant concerne les chasseurs commerciaux à grande échelle, souvent organisés en réseaux difficiles à suivre ou à réguler, visant les espèces à haute valeur marchande. Leurs activités échappent en grande partie aux systèmes de surveillance officiels aggravant la pression sur des espèces déjà menacées.
Les participants ont également exploré la diversité des circuits de commercialisation de la viande de brousse : petits marchés ruraux, étals routiers, vente en milieu urbain, voire la vente à domicile. Ces flux empruntent à la fois des canaux formels et informels. Comprendre ces routes est déterminant pour concevoir des interventions sur la demande, mieux cibler les actions de répression, et sensibiliser les consommateurs.
Au-delà des flux physiques de viande de brousse, les ateliers ont souligné l’importance des flux d’information et de la gouvernance. De nombreux acteurs manquent de données fiables sur les niveaux de chasse, la taille des populations d’espèces ou la dynamique des marchés. Le renforcement des systèmes de partage d’informations entre communautés, institutions gouvernementales, chercheurs et ONG a donc été identifié comme une priorité pour améliorer la transparence et favoriser une prise de décision fondée sur des données probantes.
Plutôt que de proposer des solutions toutes faites, les ateliers ont créé un espace de dialogue. Les participants ont identifié des opportunités de cogestion, discuté d’outils réglementaires comme les quotas ou la surveillance communautaire, et réfléchi à un équilibre entre la conservation de la biodiversité et les droits et besoins des populations locales.
« Ces idées ne sont pas entièrement nouvelles », a souligné l’un des organisateurs, « mais le fait de réunir tous les acteurs pour décortiquer le système a permis de mieux connecter les éléments. Cela ouvre la voie à des approches plus ancrées et collaboratives. »
Alors que le Cameroun et d’autres pays d’Afrique centrale cherchent à concilier sauvegarde de la biodiversité, sécurité alimentaire et les moyens de subsistance en milieu rural, ces outils participatifs offrent une voie prometteuse fondée sur la confiance, l’apprentissage mutuel et l’ancrage des réalités locales au cœur de la gestion durable de la viande de brousse.
À propos du Programme SWM au Cameroun
La faune des forêts tropicales humides du sud-est du Cameroun est surexploitée, en raison d’une forte croissance démographique et d’activités commerciales non durables. En réponse, le Programme de gestion durable de la faune sauvage (SWM) collabore avec les communautés Baka et Bantou vivant près de la Réserve de faune du Dja afin de développer des stratégies durables pour la chasse et la consommation de viande de brousse tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Le Programme SWM est une initiative internationale de grande envergure qui vise à améliorer la conservation et l’utilisation durable de la faune dans les écosystèmes forestiers, de savanes et de zones humides. Il est financé par l’Union européenne, avec des co-financements du Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) et de l’Agence Française de Développement (AFD). Des projets pilotes sont mis en œuvre avec les gouvernements et les communautés dans 15 pays participants.
Le programme est coordonnée par un consortium dynamique de quatre partenaires : l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Centre de Recherche Forestière Internationale et le Centre International de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), et Wildlife Conservation Society (WCS).









